mercredi 13 juin 2012

D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère


Concernant le roman d’Emmanuel Carrère, j’ai trouvé qu’il était difficile à lire à certains moments, notamment à la fin… c’est une histoire qui réveille des émotions fortes. On a été plusieurs à verser des larmes à la fin. Mais contrairement à moi, les autres lectrices ont trouvé l’histoire triste et dramatique. Une mère qui perd ses enfants, une mère qui souhaite voir ses enfants moins longtemps pour éviter que ces derniers ne s’habituent à elle. Une mère qui a vécu deux fois la maladie. Une mère qui ne partage pas ou peu sa douleur, sa maladie avec son entourage. Une mère qui parle de sentiment d’abandon dans son enfance. Une mère qui a peur de perdre ses enfants… et aussi une mère, et là c’est mon point de vue, qui vit de nouveau cet abandon ressenti dans son enfance à travers sa maladie et l'abandon de ses propres enfants. Ce qui m’a dérangé dans ce personnage c’est le fait qu’elle ne se soit pas battue, c'est ce que j'ai dit hier.  Mais en fait, je pense m’être mal exprimée. Ce qui me dérange c’est qu’elle n’ait pas accepté la maladie, qu’elle ne l’ait pas partagé avec ceux qu’elle aime, qu’elle n’ait pas lâché prise, qu’elle ait essayé de rester forte pour empêcher que les autres souffrent. Elle ne s’ouvre pas. Elle voit la maladie comme une fatalité. Je ne dis pas que c’est facile. Je ne dis pas non plus que c’est de sa faute. Au contraire, je dis qu’elle a été trop dure avec elle-même, qu’elle a privilégié ses enfants et son mari aux dépens de son bien-être à elle. Or pour aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Pour aider les autres, il faut d’abord s’aider soi-même. Mais notre histoire, notre vécu, notre enfance font parfois qu’on ne sent pas digne d’accepter d’être aimé, d’être aidé. C’est cela que je voulais dire. Juliette souffre doublement. D’une part parce qu’elle a une partie d’elle-même, son enfant intérieur qui croit être abandonnée, et c’est une question qu’elle n’a jamais pu élucidée. D’autre part, parce qu’elle ne partage pas cette maladie. Ce qui était très intéressant c’était le point de vue de certaines des lectrices. Pour elles, dire que Juliette n’a pas assez combattu ou n’a pas réussi à combattre la maladie, c’est dire que finalement si on succombe à la maladie, c’est qu’on ne s’est pas assez battu, et donc que nous sommes responsables de notre mort. Moi, je ne le vois pas du tout de cette façon-là. Le sentiment de culpabilité est omniprésent chez nous les femmes je trouve. Voir la maladie ou la dépression comme un moyen de répondre à son mal-être, une roue de secours, une partie de soi qui est en deuil, une partie de son âme qui souffre, qu’il faut la soigner, la choyer, l’accepter est une vision singulière dans le monde occidental. 
Dans le monde occidental, la maladie ou la dépression sont rejetées. Elles ne doivent pas nous atteindre, si jamais elles nous atteignent, la première réaction, c’est la peur de mourir. Et là il y a un travail énorme à faire sur la symbolique de la mort et de la vie dans notre inconscient. Symbolique qui s’est construite à travers notre histoire personnelle, familiale mais aussi à travers la religion, qui est le domaine privilégié abordant les questions de la mort et de la vie. Et la peur de mourir, c’est la peur de perdre, la peur d’échouer, la peur d’être responsable et enfin la peur d’être coupable. C’est le cercle vicieux de la culpabilité. Or dans l’ensemble des cas cliniques traités par les psychanalystes, ce n’est pas la peur de mourir qui ronge les malades ou les dépressifs. C’est une autre peur déguisée. Une personne malade ou dépressive a déjà une partie d’elle en deuil ou mourrante. C’est ce qui se cache derrière ce deuil, cette partie souffrante, cette partie inanimée de notre âme, de notre histoire que se recroqueville notre véritable peur. Dans son œuvre intitulée "Guérir son enfant intérieur", Moussa Nabati dit « quand on aime la vie, on n’a pas peur de mourir ». Cette phrase est incroyablement paradoxale d’un côté et incroyablement vraie de l'autre. Tout dépend de ce que représentent la vie et la mort dans notre inconscient. 
Emmanuel Carrère parle de la vie des autres, et en tire des leçons dans sa propre vie. Certes en observant la vie des autres, on apprend, on se construit, mais ce n’est pas une condition suffisante. De mon point de vue, se construire, s’accepter (dans le sens d’accepter son histoire personnelle), s’aimer ça passe avant tout par un travail sur soi-même. Finalement se rassurer quand on déprime, quand on angoisse, en voyant des personnes qui sont dans de plus grandes souffrances, ça peut aider à prendre du recul, mais ça ne nous aidera jamais à voir cette partie de nous-mêmes qui nous titille et nous angoisse. Et j’ajouterai pour rassurer celles qui sont dans une nature culpabilisante, ce n’est pas parce qu’on n’a pas trouvé ou réussi à découvrir le pourquoi de notre angoisse, que nous allons tomber sous le joug de la maladie et de la dépression. Je pense juste qu’il faut être à l’écoute de ses émotions, en parler sans tabou à soi et aux autres. 

Banu

L'écume des jours de Boris Vian


C’était extrêmement intéressant de voir des avis très divergents selon les thèmes abordés. 
Concernant l’Ecume des jours de Boris Vian, de mon point de vue, Chloé et Colin ne s’aiment pas vraiment, en tout cas, je n’ai pas été touchée par leur histoire d’amour. Colin a certes du travailler pour aider Chloé à guérir, mais leur relation me fait penser aux relations d’antan… quand les gens se mariaient parce qu’il fallait se marier, au temps des mariages arrangés, …  Colin cherchait une femme, il est tombé sur Chloé et ils se sont vite mariés. A aucun moment on ne parle de leur relation. Certaines ont parlé d’une grande histoire d’amour, or pour moi, une histoire d’amour, c’est le partage. C’est la complicité. C’est comprendre l’autre et l’aider. Chloé pense-t-elle à Colin ? Certes, comme l'a dit Mathilde à l’époque les relations homme-femme ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui. Peut-on dès lors dire que toutes les relations d'amour se réduisaient à la relation superficielle qu'entretiennent Colin et Chloé?  Dans les années 40 on s'aimait ainsi et pas autrement? 
Comment sont décrites les femmes finalement dans ce roman? Qu'est-ce qui les caractérisent? Il y a cette idée que la femme ne pense qu’à sortir et à s’habiller. Idée qui est toujours d’actualité. Les médias et les publicités propagent et profitent de cette vision superficielle et consommatrice des femmes. Est-ce la vision qu’a Boris Vian des femmes ? Serait-il misogyne? Question très pertinente que pose Anne-Claude. Ça me rappelle ce que dit Moussa Nabati (auteur du livre "Bonheur d'être soi"), sur notre partie "infantile" qui est à l’origine d’attitudes qu’on appelle parfois des attitudes puériles. Et bien ces femmes dans L’écume des jours, ce sont des femmes adultes mais avec des comportements de petites filles.
N'oublions pas Alise, une femme qui est presqu'une héroïne, puisqu'elle va se sacrifier pour sauver son bien-aimé d’une addiction. Elle aurait pu se dire que cet homme a une maladie, qu’elle l’a aidé du mieux qu’elle pouvait, qu’il n’a pas compris et elle aurait pu décider de rompre et de passer à autre chose. Mais non, et cette attitude ne me semble pas saine, comme celle de Colin qui va travailler jusqu’à perdre tout son capital pour sauver Chloé de la maladie. 
Ces attitudes qui semblent héroïques pour Christine et d'autres lectrices, moi me semblent révélatrices d’un mal-être chez ces individus. Se détruire pour l’autre dans le cas d’Alise, et conditionner sa vie à la vie de sa bien-aimée me laissent perplexes. Je ne trouve pas tout à fait les mots pour l’expliquer, mais j’ai l’impression que ces personnages ne vivent pas pour elles-mêmes, elles vivent par procuration à travers la vie de ceux qu’ils disent aimer. Je ne remets pas en cause le fait que Colin travaille d’arrache-pied pour aider sa bien-aimée,  mais l’aime-t-il réellement ? Il cherchait une femme et c’est tombé sur Chloé. De mon point de vue, il a aimé l’idée d’aimer une femme. Mais il n’aimait pas cette femme pour ce qu’elle était mais pour ce qu’elle représentait peut-être. On a aussi dit qu’il était très généreux, même trop, je pense encore une fois, qu’il n’aidait pas réellement son ami. Le conforter dans son addiction en lui finançant les livres de Jean-Sol Partre ne me semble pas très ingénieux. Et lui payer son mariage, alors que Chick ne lui avait rien demandé. Je pense que Colin se sent bien quand il aide son ami Chick. Il se sent aimé et apprécié. Il a une meilleure image de lui-même. Et là je vais un peu loin dans l’analyse psychologique des protagonistes, mais je pense que Colin  ne s’aimait pas lui-même. 
Et je terminerai mon point de vue sur Colin en disant que la question de prouver son amour n’est pas une vraie question. Pour moi, l’amour ça ne se prouve pas… prouver son amour en se sacrifiant n’est pas une preuve d’amour. On n’a pas à choisir entre soi et celui qu’on aime. C’est comme demander à un enfant de choisir entre sa mère et son père . 

Banu

Pourquoi un blog après une rencontre littéraire?

Suite à notre premier rendez-vous littéraire que j'ai beaucoup apprécié, j'ai pensé à nos discussions fort intéressantes d'ailleurs, et j'ai eu envie de créer un "post cercle littéraire". Ce que j'appelle un " post" cercle littéraire est un espace dédié aux lecteurs et lectrices qui souhaitent faire part de leurs ressentis et de leurs opinions qui ont émergé à la suite de notre rendez-vous littéraire. Souvent après les échanges, d'autres idées ou avis mûrissent et j'avais envie de les mettre par écrit.
Chacun des membres du cercle littéraire peut écrire sur ce blog. Évidemment cette partie "post" cercle littéraire ne comporte aucun caractère obligatoire ou contraignant. Ecrivent ceux et celles qui le souhaitent.
Enfin la rédaction des articles est réservée aux membres du cercle littéraire.