Concernant
le roman d’Emmanuel Carrère, j’ai trouvé qu’il était difficile à lire à
certains moments, notamment à la fin… c’est une histoire qui réveille des
émotions fortes. On a été plusieurs à verser des larmes à la fin. Mais
contrairement à moi, les autres lectrices ont trouvé l’histoire triste et
dramatique. Une mère qui perd ses enfants, une mère qui souhaite voir
ses enfants moins longtemps pour éviter que ces derniers ne s’habituent à elle. Une mère qui a
vécu deux fois la maladie. Une mère qui ne partage pas ou peu sa douleur, sa
maladie avec son entourage. Une mère qui parle de sentiment d’abandon dans son
enfance. Une mère qui a peur de perdre ses enfants… et aussi une mère, et là c’est
mon point de vue, qui vit de nouveau cet abandon ressenti dans son enfance à travers sa maladie et l'abandon de
ses propres enfants. Ce qui m’a dérangé dans ce personnage c’est le fait qu’elle ne
se soit pas battue, c'est ce que j'ai dit hier. Mais en fait, je pense m’être mal exprimée. Ce qui me dérange
c’est qu’elle n’ait pas accepté la maladie, qu’elle ne l’ait pas partagé avec
ceux qu’elle aime, qu’elle n’ait pas lâché prise, qu’elle ait essayé de rester
forte pour empêcher que les autres souffrent. Elle ne s’ouvre pas. Elle voit la maladie comme une fatalité.
Je ne dis pas que c’est facile. Je ne dis pas non plus que c’est de sa faute.
Au contraire, je dis qu’elle a été trop dure avec elle-même, qu’elle a
privilégié ses enfants et son mari aux dépens de son bien-être à elle. Or pour
aimer les autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Pour aider les autres, il
faut d’abord s’aider soi-même. Mais notre histoire, notre vécu, notre enfance
font parfois qu’on ne sent pas digne d’accepter d’être aimé, d’être aidé. C’est cela que je voulais dire. Juliette souffre doublement. D’une part parce qu’elle a
une partie d’elle-même, son enfant intérieur qui croit être abandonnée, et c’est
une question qu’elle n’a jamais pu élucidée. D’autre part, parce qu’elle ne
partage pas cette maladie. Ce qui était très intéressant c’était le point de
vue de certaines des lectrices. Pour elles, dire que Juliette n’a pas assez combattu
ou n’a pas réussi à combattre la maladie, c’est dire que finalement si on
succombe à la maladie, c’est qu’on ne s’est pas assez battu, et donc que nous
sommes responsables de notre mort. Moi, je ne le vois pas du tout de cette façon-là. Le sentiment de culpabilité est omniprésent chez nous les femmes je
trouve. Voir la maladie ou la dépression comme un moyen de répondre à son
mal-être, une roue de secours, une partie de soi qui est en deuil, une partie de
son âme qui souffre, qu’il faut la soigner, la choyer, l’accepter est une
vision singulière dans le monde occidental.
Dans le monde occidental, la maladie ou la dépression sont rejetées. Elles ne doivent pas nous atteindre, si jamais elles nous atteignent, la première réaction, c’est la peur de mourir. Et là il y a un travail énorme à faire sur la symbolique de la mort et de la vie dans notre inconscient. Symbolique qui s’est construite à travers notre histoire personnelle, familiale mais aussi à travers la religion, qui est le domaine privilégié abordant les questions de la mort et de la vie. Et la peur de mourir, c’est la peur de perdre, la peur d’échouer, la peur d’être responsable et enfin la peur d’être coupable. C’est le cercle vicieux de la culpabilité. Or dans l’ensemble des cas cliniques traités par les psychanalystes, ce n’est pas la peur de mourir qui ronge les malades ou les dépressifs. C’est une autre peur déguisée. Une personne malade ou dépressive a déjà une partie d’elle en deuil ou mourrante. C’est ce qui se cache derrière ce deuil, cette partie souffrante, cette partie inanimée de notre âme, de notre histoire que se recroqueville notre véritable peur. Dans son œuvre intitulée "Guérir son enfant intérieur", Moussa Nabati dit « quand on aime la vie, on n’a pas peur de mourir ». Cette phrase est incroyablement paradoxale d’un côté et incroyablement vraie de l'autre. Tout dépend de ce que représentent la vie et la mort dans notre inconscient.
Emmanuel Carrère parle de la vie des autres, et en tire des leçons dans sa propre vie. Certes en observant la vie des autres, on apprend, on se construit, mais ce n’est pas une condition suffisante. De mon point de vue, se construire, s’accepter (dans le sens d’accepter son histoire personnelle), s’aimer ça passe avant tout par un travail sur soi-même. Finalement se rassurer quand on déprime, quand on angoisse, en voyant des personnes qui sont dans de plus grandes souffrances, ça peut aider à prendre du recul, mais ça ne nous aidera jamais à voir cette partie de nous-mêmes qui nous titille et nous angoisse. Et j’ajouterai pour rassurer celles qui sont dans une nature culpabilisante, ce n’est pas parce qu’on n’a pas trouvé ou réussi à découvrir le pourquoi de notre angoisse, que nous allons tomber sous le joug de la maladie et de la dépression. Je pense juste qu’il faut être à l’écoute de ses émotions, en parler sans tabou à soi et aux autres.
Banu
Dans le monde occidental, la maladie ou la dépression sont rejetées. Elles ne doivent pas nous atteindre, si jamais elles nous atteignent, la première réaction, c’est la peur de mourir. Et là il y a un travail énorme à faire sur la symbolique de la mort et de la vie dans notre inconscient. Symbolique qui s’est construite à travers notre histoire personnelle, familiale mais aussi à travers la religion, qui est le domaine privilégié abordant les questions de la mort et de la vie. Et la peur de mourir, c’est la peur de perdre, la peur d’échouer, la peur d’être responsable et enfin la peur d’être coupable. C’est le cercle vicieux de la culpabilité. Or dans l’ensemble des cas cliniques traités par les psychanalystes, ce n’est pas la peur de mourir qui ronge les malades ou les dépressifs. C’est une autre peur déguisée. Une personne malade ou dépressive a déjà une partie d’elle en deuil ou mourrante. C’est ce qui se cache derrière ce deuil, cette partie souffrante, cette partie inanimée de notre âme, de notre histoire que se recroqueville notre véritable peur. Dans son œuvre intitulée "Guérir son enfant intérieur", Moussa Nabati dit « quand on aime la vie, on n’a pas peur de mourir ». Cette phrase est incroyablement paradoxale d’un côté et incroyablement vraie de l'autre. Tout dépend de ce que représentent la vie et la mort dans notre inconscient.
Emmanuel Carrère parle de la vie des autres, et en tire des leçons dans sa propre vie. Certes en observant la vie des autres, on apprend, on se construit, mais ce n’est pas une condition suffisante. De mon point de vue, se construire, s’accepter (dans le sens d’accepter son histoire personnelle), s’aimer ça passe avant tout par un travail sur soi-même. Finalement se rassurer quand on déprime, quand on angoisse, en voyant des personnes qui sont dans de plus grandes souffrances, ça peut aider à prendre du recul, mais ça ne nous aidera jamais à voir cette partie de nous-mêmes qui nous titille et nous angoisse. Et j’ajouterai pour rassurer celles qui sont dans une nature culpabilisante, ce n’est pas parce qu’on n’a pas trouvé ou réussi à découvrir le pourquoi de notre angoisse, que nous allons tomber sous le joug de la maladie et de la dépression. Je pense juste qu’il faut être à l’écoute de ses émotions, en parler sans tabou à soi et aux autres.
Banu